Le Quartier des Farfadelles

Suite à l’événement qui avait eu lieu quelques heures plus tôt au marché, Elsephyr avait décidé de rentrer chez lui directement, sans passer par la taverne. De toute façon, il était trop énervé par le comportement d'Adragar pour lui adresser la parole tout de suite. Il arriva devant sa petite maison ; ce n'était pas un palace. Plutôt une vieille bicoque coincée entre deux grandes maisons en bois de charme dont la façade était délavée. Il y avait derrière un petit jardin qui communiquait avec la maison d'en face, abandonnée depuis des lustres. Cependant cela ne gênait pas Elsephyr, tant qu'il avait un lieu décent ou vivre avec son chat de 6 mois...

*Il serait peut-être temps de repeindre ce mur...* pensa-t'il.

Le garçon se demanda ou se trouvait Adragar en ce moment même. Il devait être à l'autre bout de la Capitale, en train de cavaler pour échapper aux gardes. Ou alors il s'était caché dans un arbre du parc des Jivalucioles. Ou bien il s'était déguisé en milicien et passait incognito les immenses portes de la ville. Elsephyr s'imagina tous les scénarios possibles puis se dit que, de toute façon, ça n'avait pas d'importance. Il sortit la clé en cuivre de sa ceinture et ouvrit la porte grinçante de sa maison.

Erya traversa la rue, évitant de justesse un chariot qui se dirigeait vers elle. Elle chercha des yeux la maison qui lui avait été indiquée par un homme croisé dans une taverne. Elle ne vit qu'un vieux taudis à l'air abandonné, qui menaçait de tomber en ruine.
S'apercevant qu'il ne pouvait s'agir que de ce batiment, elle décida d'entrer. Elle poussa difficilement la porte, et fut prise d'un grande toux : la poussière s'était accumulée et avait envahit la maison. Elle ouvrit toutes ses fenêtres, et ses yeux tombèrent sur le jardin.
Elle fut prise de ravissement. "Il est magnifique." La jeune fille resta plusieurs minutes à l'admirer. Il ressemblait à un espace sauvage et féerique qui aurait basculé ici. Partout où elle posait le regard, elle ne voyait que de la verdure abondante ou des fleurs multicolores odorantes. Elle fut immédiatement charmée par son ambiance calme et exotique.
Elle décida d'habiter dans cette maison.

Elsephyr venait de poser son sac à terre, lorsque son attention fut attirée par un bruit étrange. D'abord un grincement, puis des bruits étouffés qu'il fut incapable de comprendre. Il se mit sur sa garde et monta les escaliers lentement et prudemment, s'attendant au pire. Lorsqu'il arriva en haut, il ne vit que Logique, le chat gris anthracite qu'il avait recueilli il y a quelques mois de cela. Le jeune homme se dit que c'était probablement lui qui avait causé tous ces bruits, et il se relaxa.
Le chaton miaula vivement et vint se coller contre les jambes de son maître tout en ronronnant. Elsephyr comprit qu'il avait faim et alla chercher la nourriture.

-T'es jamais rassasié, hein boule de poil ?

Le garçon se prit lui-même à parler à son chat. Peut-être qu'il devrait sortir un peu plus...

Erya passa tout le reste de sa journée à nettoyer sa nouvelle maison. Ce travail se trouva encore plus ardu qu'elle ne l'imaginait. Il fallait non seulement enlever toute la poussière, mais aussi ramasser et trier la multitude d'objets qui étaient accumulés sur le sol.
Elle amassa un nombre incalculable de parchemins et de petits bijoux. Epuisée, elle était sur le point de s'arreter quand un éclat métallique attira son regard. Elle se baissa et ramassa un poignard coincé derrière une armoire.
L'arme était fine et le pommeau délicatement sculpté. Ravie, elle l'admira jusqu'à ce qu'elle connaisse sa répartition de poids exacte, puis la passa à sa ceinture et chercha quelle pièce pourrait être la chambre.
Lorsqu'elle passa devant la fenêtre, un mouvement furtif la fit sursauter : quelque chose avait bougé dans le jardin. Elle s'y rendit, mais n'observa rien d'anormal. C'est alors qu'elle entendit un miaulement sonore, et qu'elle sentit un frolement sur son mollet. Elle baissa les yeux, et vit un adorable chat gris qui l'observait de ses grands yeux verts.
Elle avait toujours admiré les chats pour leur liberté et leur indépendance, mais elle était tout simplement tombée folle amoureuse de celui-ci.

Après avoir déballé toutes ses affaires dans sa chambre, à l'étage, Elsephyr retourna sur le palier pour voir si Logique avait fini son repas. A sa grande surprise, le bol de nourriture était toujours aussi rempli. Pas un bout de l'étrange bouillie (Elsephyr n'était pas sur de la nature de cette chose mi-molle mi-compacte) n'avait été touché. Pourtant, le jeune chat en raffolait et n'hésitait pas à en redemander. Quelque chose ne tournait pas rond. L'apprenti alchimiste descendit voir si l'animal n'était pas coincé quelque part, mais non, rien. Rien sous la table, rien dans le placard et surtout, rien au bord de la fenêtre qui capturait les rayons du soleil couchant. Le jeune homme décida donc de poursuivre sa recherche dans le jardin. Il ouvrit la porte de la cour intérieure et observa autour de lui. Des hautes herbes, un trou de taupe (au milieu de la ville ?), le plant de fleurs de Nirmadiales et... Elsephyr, stupéfait, se raidit. A l'autre bout du jardin, devant la porte de l'ancienne baraque abandonnée, se trouvait une jeune femme, plus jeune que lui en tout cas. Elle observait le chat qui tournait autour d'elle et qui ronronnait. Qui était-elle ? Et surtout, que faisait-elle la ? Le jeune homme, sous la surprise, ne put dire un mot.

Erya fixa le chat jusqu'à en être étourdie. Sa souplesse, son corps fin et musclé, et surtout ses yeux, d'un vert émeraude mystérieux et profond.
Les yeux rivés sur le somptueux animal, elle ne remarqua qu'à la dernière seconde le jeune homme qui s'approchait en l'observant. Il paraissait plus vieux qu'elle, et sa grande taille l'impressiona. Elle croisa son regard, et vacilla. Ses yeux doux l'hypnotisèrent pendant plusieurs secondes.
Il se tenait droit devant elle, géné et surpris. La jeune fille se ressaisit, et observa le reste du visage du jeune homme. Il avait certes des traits fins, mais quelque chose dans l'expression de son visage exprimait le dédain et la prétention. Elle n'appréciait pas du tout cet homme qui lui avait fait perdre tout ses moyens.

La jeune fille sortie de nulle part, fascinée par le chaton qui s'était maintenant mis en quête d'un endroit ou se coucher, ne nota la présence d'Elsephyr que tardivement. Le jeune homme la toisa du regard, et elle fit de même. L'étrangère avait les cheveux d'un noir indescriptible, qui s'assortissaient à ses yeux en amande eux aussi noirs. Elle semblait assez agile, au vu de sa corpulence, et il se dégageait d'elle quelque chose de... sauvage. Elle avait l'air affirmée, et indépendante, pourtant... Elsephyr ne savait pas ce que c'était, mais quelque chose le faisait chavirer. Elle l’envoûtait rien qu'en le regardant. L'apprenti alchimiste revint à la réalité sans comprendre ce qui venait de lui arriver. Ils se contemplèrent encore pendant quelques secondes, puis il réussit enfin à parler.

- Qui.. qui es-tu ? Et... et surtout, qu'est ce que tu fais ici ? bégaya-t'il.

Il ne comprit pas pourquoi il eût tant de mal à s'exprimer avec l'étrangère. Normalement, il était bien plus affirmé que ça. Le garçon décida aussitôt qu'il n'aimait pas cette inconnue.

Soudain, Erya fut prise d'une colère féroce

-Ce que je fais là? Mais c'est chez moi ici ! C'est plutôt à moi de te le demander.

Le chat avait disparu et sa joie intense s'était complétement dissipée.
Elle ne ressentait plus que de la haine envers ce garçon si étrange.

La réponse de l’intéressée fut directe. Elle lui répondit d'un ton hargneux qui prit Elsephyr de court. Cependant il ne se laissait pas faire et répliqua de plus belle :

-A moins que tu vives dans cette vielle maison dévorée par la pourriture et abandonnée depuis des années, je te signale que tu te trouves dans mon jardin !

Qu'allait elle répondre à ça ? Elle n'avait aucun droit de lui parler ainsi. L'atmosphère se tendit entre les deux jeunes gens. Logique, effrayé, était allé se réfugier à l'intérieur. Le garçon regarda l'inconnue de haut en bas d'un air dédaigneux, puis la fixa droit dans les yeux, énervé.

Cela faisait très longtemps qu'Erya n'avait pas tenu une véritable conversation, et elle se rendit compte qu'elle n'avait pas été très aimable avec ce jeune homme. Cependant, sa réponse lui déplaisait, et elle n'était pas prête à se laisser amadouer.

-Cette maison n'est plus abandonnée, puisqu'elle est mienne. Je me chargerai de la débarasser de la moisissure. Et ce jardin, me semble-t-il, n'appartient pas moins à moi qu'à toi. De plus, j'ai certaines choses plus importantes à faire que de parler à un homme dont je ne connais même pas le nom. Je te prierai donc de m'excuser...

Et elle s'éloigna, l'air digne et le menton levé.

La réponse de la jeune fille vint détruire l'assurance d'Elsephyr comme une pierre jetée à une vitre. Elle venait d'arriver, et déjà cette insolente s'appropriait la maison et le jardin. Et par-dessus tout ça, elle était détestable. Le jeune homme tenta de répliquer et bafouilla quelque chose d'inaudible.

-Ouais, eh bah... moi aussi j'ai des choses plus importantes à faire... d'abord !

Cependant l'impudente avait déjà quitté les lieux. Le garçon, pas encore remis de la raclée qu'il s'était prise, regarda une dernière fois la vieille maison et rentra chez lui, pas prêt à se laisser vaincre par la jeune fille.

Dès qu'elle eut franchi le seuil de sa porte, Erya sentit sa colère se dissiper. Un remord s'insinua en elle. N'aurait-elle pas du être moins désagréable avec son nouveau voisin? Et elle aurait réellement aimé connaitre son nom. L'image de ses yeux s'imposa dans son esprit. Comment avait-elle pu être autant bouleversée par cet illustre inconnu?
Elle se prit à penser qu'un homme possédant un tel chat ne pouvait qu'être extraordinaire.
Mais elle avait bien remarqué que le garçon ne l'appréciait pas. Elle ne s'imposerait donc pas, elle laisserai les choses se passer, comme elle l'avait toujours fait.
Une pensée désagréable lui vint à l'esprit : c'est surement car elle ne prenait jamais l'initiative qu'elle n'avait toujours aucun véritable ami.

Elsephyr alla s'asseoir à la table de sa cuisine et attrapa une pomme verte. Rentrer au chaud l'avait un peu calmé, mais la dispute qui l'avait opposé à la jeune fille quelques minutes plus tôt resta ancrée dans sa tête. Il aurait peut-être dû faire preuve de sérénité, et les choses aurait pues se passer... plus civiquement. Le garçon regretta de s'être mis en colère pour si peu. Logique, qui était allé se cacher à l'intérieur durant l'affaire, vint se poser sur ses genoux et ronronna. Lui qui avait pourtant peur des étrangers, n'avait eu aucune méfiance envers la fille qu'il venait de rencontrer. Peut-être qu'elle n'était pas si ennuyante et arrogante qu'il ne le pensait...

Il se faisait tard. Les premières étoiles apparaissaient déjà sur la voûte céleste teintée de bleu marine, et Elsephyr sentit la fatigue l'envahir. Il alluma une chandelle et monta à l'étage. Le chat montra enfin de l'intérêt à sa nourriture, et le garçon lui souhaita bonne nuit. Il s'engouffra dans sa chambre et posa la bougie luisante sur sa table de chevet. Après s'être changé, il alla directement se coucher dans son lit, mais il ne passa pas sous la couverture. Il regarda simplement le plafond, en réfléchissant à ses actes plus tôt. L'apprenti alchimiste n'arrivait pas à dormir. Il remarqua alors que la fenêtre qui donnait sur le jardin n'avait même pas été refermée, et une légère brise pénétrait dans la chambre. Dehors, les herbes et les fleurs vues d'en haut ressemblaient à un grand tableau ou les couleurs se mélangeaient dans une parfaite harmonie. Elsephyr porta son regard sur la maison en face. Que faisait l'étrangère à ce moment même ? Une idée traversa alors la tête du garçon. Sans réfléchir, il inspira puis s'écria :

-Moi c'est Elsephyr ! Bonne nuit !

Voila, il l'avait dit. Il n'y avait même pas pensé, il l'avait juste fait. Il en sentait le besoin, il voulait s'excuser. Le jeune homme, satisfait, ferma la fenêtre et alla se coucher.

Erya était train de nettoyer un tas de paille sur lequel elle dormirait cette nuit lorsqu'elle entendit un hurlement :

-Moi c'est Elsephyr ! Bonne nuit !

Elle resta impassible et finit de préparer sa couche.

Quelques heures plus tard, allongée sur le dos, elle fixait le plafond.
"Elsephyr..."