La Cour vide

Apprenti Posteur Messages : 11 Date d'inscription : 08/12/2014 Age : 24

Le cailloux heurta le sol sans bruit et dévala lentement le faux plat avant de s'immobiliser contre le haut mur de pierres. Louise suivit sa course du regard, à peine déçue de ne pas être parvenue à briser le silence qui pesait sur la cour vide. Au fond, elle était même heureuse d'avoir échoué. Cela confortait sa théorie selon laquelle rien ne pouvait tenir tête à la paisible force du lieu. Pourtant, encore quelques heures auparavant, les cris des enfants emplissaient la cour, sans subir la moindre résistance. Louise n'arrivait pas à se l'expliquer. Peut-être la cour leur accordait-elle une sorte, d'autorisation spéciale. Un délai, avant qu'eux aussi à leur tour, ne deviennent impuissants. Louise s'arracha à sa réflexion et embrassa du regard ce lieu qu'elle aimait tant. Quatre murs de pierre, hauts de plusieurs mètres, encerclaient le sol pavé et l'unique arbre que la cour abritait. Il n'y avait à l'origine, aucune entrée pour accéder à la cour vide. Du moins, pas telle que l'on en conçoit une aujourd'hui. C'est pourquoi un pan du mur avait cédé la place à une basse porte de bois noir. Louise regrettait cette décision. D'ailleurs, elle ne s’embarrassait jamais à franchir la porte. Elle préférait de loin escalader l'un des murs avant de monter directement à la cime de l'arbre. D'autant qu'elle s'en souvienne, elle n'avait jamais posé le pied sur le sol de la cour, n'en avait jamais ressenti le besoin. Pourquoi l'aurait-elle fait ? C'était là-haut qu'elle se sentait bien, elle n'avait aucune raison d'aller ailleurs. Et puis, elle avait l'intuition qu'elle n'y serait pas la bienvenue.
Alors qu'elle contemplait tendrement la cour vide, un éclat blanc glissa devant ses yeux, descendant lentement vers le sol. Machinalement, Louise l'observa. L'éclat frôla les pavés puis se posa. Elle ne le vit pas mais l'entendit. L'entendit ? Louise se redressa, incertaine. Elle songea un instant qu'elle avait rêvé. Pourtant, elle voulait y croire. Une intense curiosité l'envahit. Sans plus réfléchir, elle se laissa tomber dans la cour vide, pour la première fois. Elle prit délicatement l'éclat blanc dans ses mains. C'était une feuille de papier. Elle en était sûre, elle en avait vu l'autre jour au grand marché. On les vendait cher, c'était nouveau. Mais Louise s'en fichait. Ce qui l'intéressait était ailleurs. Des mots noires, comme incrustés dans la trame du papier :

« Un avion en papier.
C’était comme ça que ça avait commencé. Par une simple feuille abandonnée sur une table et des mains maladroites qui s’en étaient emparée. Qui l’avait tournée et retournée dans des gestes incertains. Du papier qui s’était plissé, froissé. Abimé. Puis des lettres, formant des mots, à l’encre noire banale, tracées de façon trop brusque, d’une écriture tremblante. Enfantine.
Lilas inséra la petite clé en bronze dans la serrure abimée de la vieille armoire et, doucement, comme si elle avait peur de la briser, la fit pivoter du bout des doigts. Le mécanisme se déverrouilla dans un clic qui résonna dans le silence de la chambre. La fenêtre était ouverte. Des rideaux blancs tombaient mollement de chaque côté de l’encadrement et virevoltaient au rythme des bourrasques qui s’engouffraient dans la pièce.
Lilas posa la paume de sa main sur le battant de l’armoire. Le bois était sombre, couleur brun-rouge. Du teck probablement, elle n’en était pas certaine. Elle tenait ce vieux meuble de sa mère. Celle-ci aurait trouvé étonnant de voir que sa fille ne s’en était pas débarrassée. Lilas n’était pourtant pas conservatrice dans l’âme. Elle détestait en général s’encombrer de tout ce qui pouvait lui rappeler son passé. La seule chose qui l’avait poussé à garder l’armoire était son contenu. Une chose qu’elle y avait mise des années auparavant.
Elle fit glisser ses doigts jusqu’à la poignée ronde. Les charnières étaient rouillées et elle ne fut pas surprise de les entendre grincer lorsqu’elle ouvrit la porte. Une pile d’anciens draps miteux qui n’avaient pas vu la lumière du jour depuis des lustres manqua de s’écrouler à ses pieds lorsqu’ils furent délivrés de leur prison de bois. Elle les retint de justesse d’une main, prise d’une quinte de toux à cause de la poussière, tandis que de l’autre, elle posa la petite clé, qu’elle tenait toujours, sur une des étagères du meuble. Elle essuya ses yeux humides d’un revers de manche. Elle avait toujours mal supporté les lieux poussiéreux.
Elle jeta un œil dans le meuble. Cela faisait exactement vingt ans que l’armoire n’avait pas été ouverte. Depuis le jour où elle était venue y ranger ce que, à cet instant précis, elle venait récupérer. Elle se remémorait très bien la façon dont elle avait fourré la boîte dans le fond du meuble avec des gestes désordonnés, puis comment dans sa précipitation elle avait mis plusieurs secondes à réussir à verrouiller la porte. Ses mains tremblaient, elle s’en souvenait. Et sa vision était troublée par des larmes qu’elles ne parvenaient pas à refouler malgré ses efforts. Elle ne voulait plus avoir à poser les yeux sur la boite. Sur ce qu’elle représentait, elle et son contenu. Son contenu surtout. Avant, elle trouvait futile l’idée d’enfermer les choses, de les cacher. Comme si le simple fait de les savoir emprisonnées pouvait les rendre plus simples à oublier. A effacer. Pourtant, le jour où elle avait eu besoin de s’éloigner de son secret, c’est ici, dans ce vieux meuble poussiéreux qu’elle était venue dissimuler les dernières traces d’un passé qu’elle avait voulu laisser derrière elle. Jusqu’à ce jour. »

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Cela s'arrêtait là. Louise tourna et retourna la feuille de papier, mais il n'y avait rien. Pas un mot de plus ne l'avait souillée de son sang noir. Elle ne s'en soucia pas. Ces quelques phrases suffiraient à l'occuper pour quelques jours. Elle n'en demandait pas plus, enfin, pas encore. Pliant avec précaution la feuille en quatre, elle la fourra dans la poche de son pantalon de toile. Puis, désormais privée de prétexte et se sentant illégitime, Louise rejoignit vivement la cime de l'arbre, fuyant le sol gris et froid de la cour. Elle y resta, espérant peut-être un second, non, un deuxième éclat blanc. Mais rien ne vint. Il n'y avait que l'obscurité et le silence, écho de choses absentes. Dans la cour vide, Louise n'avait pas peur du noir. Partout ailleurs, il la terrorisait. Chaque nuit était une épreuve et chaque journée était hantée par le souvenir de la dernière et la peur de la suivante. Depuis longtemps déjà, elle ne comptait plus celles qu'elle avait passées recroquevillée, tremblante et transpirante, jusqu'à ce que son corps n'abandonne et qu'enfin, elle ne s'effondre. Elle avait tenté de comprendre ce qui l'effrayait, en vain. On lui avait dit que c'était la peur de l'inconnu et elle y avait cru quelque temps. Aujourd'hui, elle réfutait cette piètre explication mais ne tentait pas non plus d'en chercher une autre.
Lorsque ses paupières, lourdes d'une journée passée à la laisser dévisager le monde, réclamèrent une trêve, Louise ne tenta pas de résister, sachant le combat perdu d'avance. Un instant, elle pensa à rentrer chez elle, mais renonça. Ses parents ne l'y attendaient pas, ce soir. D'ailleurs, l'avaient-ils jamais attendue ? Elle l'ignorait, n'avait aucune envie de le savoir, de l'admettre, plutôt. Et de toute façon, ici était aussi, sans doute un peu plus, chez elle. Elle se laissa glisser sous la couverture des ténèbres, oubliant ses naïves souffrances, honteuse presque, d'avoir mal.

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Blanche. Entièrement blanche. Elle grimaça. Elle patientait depuis des heures, seule, dans l'angoisse de repartir les mains vides. Et qu'avait-elle obtenu ? Une feuille blanche. Pas la moindre phrase, le moindre mot, rien qui ne puisse assouvir sa curiosité. Elle avait attendu plusieurs jours avant de revenir, ne voulant pas se montrer pressante, pensant que la cour n'aimerait pas être bousculée. Maintenant, assise contre le tronc de l'arbre de la cour vide, elle riait doucement de sa bêtise. Depuis quand les cours écrivaient-elles des histoires sur des feuilles de papier ? Et depuis quand se considérait-elle comme... l'élu auquel ces mots étaient destinés ? Elle avait été là au bon moment, voilà tout. Elle serra ses genoux contre sa poitrine sans réussir à contenir ses larmes.

- Pourquoi tu pleures ?

Elle tourna la tête et fixa son regard dans celui, noir, du petit garçon qui venait de s'adresser à elle. Elle ne l'avait pas entendu s'approcher.

- Je ne pleure pas mon ange, dit-elle en souriant tendrement.

Le garçon fronça les sourcils.

- Je ne suis pas un ange.

Elle rit.

- Non, c'est vrai. Tu es un petit garçon.

L'enfant pencha la tête sur le côté.

- Pourquoi tu pleures ? répéta-t-il.

- Eh bien... je crois qu'on appelle ça une désillusion.

Le petit garçon plissa les yeux, semblant soudain très concentré.

- C'est ton nom ?

- Pardon ?

- Daisy Lusion, c'est ton nom ?

D'abord surprise, elle éclata de rire.

- Mais non ! Je m'appelle Louise. Une désillusion c'est... un rêve qui se brise.

- Ah. Bah, pourquoi tu ne le répares pas ?

Elle hésita.

- Un rêve ne se répare pas...

Le petit garçon leva les yeux au ciel.

- Bien sur que si !

Il tourna la tête comme s'il avait entendu quelque chose. Un sourire désabusé déformait désormais son visage. Il sortit quelque chose de sa poche et tendit sa main vers elle.

- Je dois partir. Prends ça et répare ton rêve. Tu vas voir, c'est facile.

Elle saisit l'objet. C'était une plume en ébène. Lorsqu'elle leva les yeux pour le remercier, le petit garçon avait déjà disparu. La plume était lourde dans sa main et elle se demanda un moment ce qu'elle était censée en faire. Elle songea qu'il avait sans doute voulu la réconforter en lui offrant un cadeau. Elle s'apprêtait à la déposer à même le sol, voulant l'offrir à son tour à celui qui la trouverait, lorsque ses yeux par hasard, rencontrèrent la feuille de papier blanc abandonnée avec dépit quelques instants plus tôt. Alors seulement, un sourire amusé étira ses lèvres et, à son tour, elle leva les yeux au ciel.

Elsephyr se tenait devant le mur, confus. Il avait erré dans les rues, sans but précis, à la recherche de ce qui l'attirait tant. Quelque chose émanait de ce lieu. Quelque chose de serein, de magique presque. Pourquoi était-il venu ici ? Il n'avait fait que suivre son instinct, traversant la ville sans faire attention au monde qui l'entourait. Le jeune homme ne savait même pas ou il se trouvait. Il regarda brièvement autour de lui, il n'y avait personne. Juste lui, le mur, et ce fantôme qui le hantait et qui lui disait de pénétrer dans ce lieu hors du monde, ce lieu étrange et inconnu. Elsephyr ne put résister. Il ne savait pas ce qui lui arrivait, mais autant explorer cet endroit. Il saisit une prise dans le mur et en quelques secondes fut en haut. C'était une cour. La cour de quoi, il ne le savait pas, mais il était sur que c'en était une. Pourquoi avoir été attiré ici ? Tant de questions dont les réponses restaient encore floues. Le jeune homme remarqua alors l'arbre, qui se dressait là. Il était beau, pour la saison. A ses pieds, il vit alors quelques chose, ou quelqu'un. Il ne sut dire. Oubliant alors toute sa méfiance et imprudemment, il sauta du mur et atterri dans la cour avec lourdeur, provoquant un grand bruit sec qui troubla le silence enchanteur du lieu.

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« Lilas remit les draps à leur place, veillant à ne pas trop les remuer pour éviter une nouvelle gerbe de poussière. Elle se pencha, ramenant derrière son oreille d’un geste automatique la mèche de cheveux grisonnant qui lui tombait devant les yeux. Comme sur le linge, une fine pellicule de poussière avait recouvert les divers objets restés depuis trop longtemps dans l’oubli du vieux meuble. Lilas passa son index sur le rebord de l’étagère du bas, révélant le bois terni par le temps. Elle s’agenouilla et contempla d’un air fasciné les grains de poussière qui recouvraient le bout de son doigt. Ils étaient inoffensifs tant qu’elle n’avait pas à les respirer. Quand elle était petite, on lui disait que les petites particules qu’elle voyait s’agiter partout dans l’air autour des personnes, autour des murs, autour d’elle était la poussière des gens qui avaient quitté ce monde. Se pouvait-il que sur le bout de son index se trouvait actuellement des grains de sa mère décédée vingt ans plus tôt ? Ou encore de cet homme mort dans un accident de voiture qu’elle avait vu aux informations dans la matinée ? La poussière était comme une trace des choses qui avaient disparues. Comme des souvenirs sur lesquels on pouvait souffler pour les faire s’envoler et pour que d’autres les remplacent. Même si, Lilas en avait bien conscience, rien ne s’oubliait jamais vraiment. Elle pouvait souffler tant qu’elle voulait sur ses souvenirs, ils n’en resteraient pas moins ancrés avec force dans son esprit.
Elle glissa sa main entre une pile de rideaux et un vase ébréché et tâtonna dans le fond du meuble. Ses doigts se prirent dans une toile d’araignée et dans un geste brusque de recul, elle renversa le vase qui se brisa sur le sol en des dizaines de tessons tranchants. Mais Lilas n’y fit pas attention. Car en tombant, le vase avait révélé à sa vue ce qu’elle cherchait. La grande boîte bleue était là. A l’endroit exacte où elle l’y avait laissée il y avait tant d’années. Prenant garde de ne pas se blesser sur les morceaux de verre, elle attrapa la boîte et alla s’asseoir sur le lit derrière elle. Elle la posa sur ses genoux. Sa couleur bleue d’origine était devenue plus terne, virant dans une sorte de grisâtre bleuté. Elle posa ses mains sur le couvercle, hésitant un instant. Elle ferma les yeux, respira un bon coup, puisant en elle le courage de retrouver ce secret qu’elle avait tellement voulu oublier. Puis, avant d’avoir le temps de voir sa résolution flancher, elle ouvrit la boite. »

Louise essuya sa plume et la fit prudemment glisser dans sa poche. Après seulement, elle releva la tête et offrit un sourire à l'inconnu qui l'observait silencieusement.

- Bonjour, dit-elle.

Elsephyr se raidit immédiatement en entendant une personne lui parler. Il pensait être seul. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour se rendre compte que c'était une jeune fille, au pied de l'arbre, qui lui avait adressé la parole. Elle semblait jeune, pourtant elle était différente des autres enfants qu'Elsephyr voyait dans les rues. Elle avait quelque chose dans ses yeux, une étincelle ; et elle n'avait pas peur de lui.

- Bonjour, répondit-il simplement.

Que faisait elle ici, seule ? Vivait-elle ici ? Peut-être qu'il avait pénétré dans une propriété privée. Le jeune homme espéra que ce n'était pas le cas.

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Ses yeux plaisaient à Louise. Ils n'étaient ni bleu ni vert, à dire vrai, elle aurait été incapable de définir leur couleur. Inconstants et incompréhensibles, elle les trouvait vraiment très beaux. Elle s'y perdit jusqu'à ce que le son de sa voix, atone, ne l'en sauve. La calme assurance qui suintait à flot de ce grand garçon amusait Louise. Elle se demanda si elle était feinte.

- Comment t'appelles tu ?

La question était simple, claire, cependant elle déstabilisa le jeune homme. L'inconnue n'avait pas peur, elle semblait même attirée par Elsephyr, comme si elle l'avait attendu. C'était peut-être le cas. Après tout, le garçon était presque persuadé que sa venue en ce lieu étrange n'était pas un hasard.

- Else... Elsephyr, répondit-il maladroitement.

La jeune fille le perturbait, aussi bizarre que cela paraisse. Rien que sa présence, son attitude, son regard. Il y avait quelque chose de mystérieux qui l'entourait, une aura de secrets bien gardés.

- Et toi ? Tu t'appelles comment ?

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- Elsephyr. C'est un beau nom. Je m'appelle Louise.

Elle le fixa un instant, se demandant à quoi il pouvait bien penser. Elle aurait tellement aimé savoir. Avant, elle n'aurait pas hésité à se fier à son instinct et à déduire tout et n'importe quoi du comportement du jeune homme. Déductions devenant, quoi qu'on en dise, certitudes, fréquemment, presque toujours d'ailleurs, impossible à remettre en cause, puis trop souvent, parfois douloureusement, parfois bénéfiquement, anéanties. Et si la destruction de ses propres certitudes ébranle, elle n'est rien à côté du mal qu'occasionnent les certitudes d'autrui, Louise le savait pertinemment. Ainsi se battait elle contre les pensées tentatrices qui s'offraient à elle, n'essayait plus de comprendre les autres, car elle ne les comprenait jamais, on ne se comprends jamais vraiment, pensait elle. Louise secoua la tête et se morigéna intérieurement. Pourquoi persistait t-elle donc à s'infliger ces épuisantes et inutiles réflexions métaphysiques ? Déchirant le voile de vide qui flottait devant ses yeux, elle adressa un regard curieux, enfantin presque, à l'inconnu, qui d'ailleurs, n'en était plus un. Enfin si, songea t-elle plus tard, il en était toujours un, car après tout, on ne se comprends, on ne se connait, jamais vraiment...

- Que fais tu ici, Elsephyr ?

Ayant repris un peu de confiance en lui-même, et heureux de voir que la jeune fille ne semblait pas apeurée par sa présence, il la regarda fixement. Elle fit de même. Enfin, il n'en était pas sûr, car elle ne semblait pas observer un point en particulier, elle était comme perdue dans ses pensées. Lorsqu'elle lui posa la question fatale à laquelle il s'était attendu, il essaya de garder son calme et de réfléchir à la situation. Il se trouvait dans une cour, avec une jeune fille, ne savant pas pourquoi il était arrivé là ni comment il avait trouvé ce lieu sans jamais y être allé. Le jeune homme tenta d'esquiver la question :

- Je pourrais te poser la même question.

Il craignit que sa réponse ne fut trop brute et hostile, mais au regard de la jeune fille, il comprit qu'elle savait interpréter les choses correctement. Et ce n'était peut-être pas une bonne chose pour Elsephyr.

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Louise eut un sourire indulgent.

- Oui, tu pourrais. Mais tu ne l'as pas fait. Moi, si.

Elle reprit sa plume et se pencha sur la surface lisse et blanche du papier vierge. Frénétiquement, elle l'alourdissait des sécrétions verbales de son esprit.

Elsephyr dut admettre que la jeune fille avait raison. Sa réponse aurait dû lui sembler évidente, en réalité, mais il était tellement confus qu'il avait sorti le premier échappatoire lui venant à l'esprit. Comprenant qu'il n'avait pas le choix, le garçon se résigna à lui expliquer les origines de son étrange intrusion :

- En fait, je ne suis pas vraiment sûr de comment j'en suis arrivé là, j'errais dans les rues, je n'étais pas moi-même quand...

Est-ce que Louise l'écoutait, au moins ? Elle était en train d'écrire, avec une grande application, sur une feuille en papier. La curiosité d'Elsephyr prit alors le dessus, et, mettant ses excuses alambiquées de côté, il ne put résister :

- Qu'est ce que tu écris ? Une histoire ?

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Louise tenta de maitriser le sourire narquois qui menaçait sérieusement de se faire une place quelque part, un peu au dessous de son nez.

- Pas toi même, vraiment ? Tu te défiles comme un affidé dilettante Elsephyr !

Elle se tourna vers lui, le regard brillant, puis, avant qu'il n'ait pu répondre, si du moins il en avait eu l'intention :

- Oui, une histoire, je crois. M'enfin, ça ne vaut pas grand chose, ce ne sont que des mots. Ou des maux. Ce qui revient au même. Bref. Je m'ennuie moi même, c'est exaspérant.

Elle leva les yeux au ciel et soupira, consternée.
La feuille était déjà complètement recouverte, exploitée jusqu'à l'épuisement. Elle la contempla un instant, songeuse. Ses doigts effleuraient le papier, suggérant les courbes subtiles que son esprit élaborait dans un but bien précis. Lorsqu'elle estima s'être suffisamment approchée de la perfection, l'ordre d'exécution fut donné. Quelques secondes après, elle tenait l'avion en papier devant ses yeux, l'examinant sous toutes ses coutures. Une petite moue sceptique déformait ses lèvres.

- Hmm.

Elle haussa les épaules, se leva d'un bond et atteint la cime de l'arbre avec l'aisance de l'habitude. Elle leva une main devant elle, sentit le vent, déduisit sa force et son orientation, hésita à s'adonner à d'autres calculs, les jugea inutiles, laissa l'avion s'envoler selon son bon vouloir.

Le garçon observa tous ses gestes, toutes ses expressions. Elle se moquait de lui, ça c'était évident. Cependant Elsephyr crut comprendre que la jeune fille s'ennuyait cruellement. N'avait-elle pas d'amis ?
Il regarda le petit oiseau pâle flotter et planer au gré du vent, avant de sortir de son champ de vision pour partit explorer le monde. Il se demanda si Louise avait planifié la trajectoire, si l'histoire était adressée à quelqu'un, néanmoins il se retint de poser la question. Sa curiosité allait encore en dire trop sur lui. Il ne connaissait même pas la personne avec qui il discutait. Et puis que faisait il ici, vraiment ? Elsephyr se rendit compte qu'il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était.

- Je pense que je vais y aller.

Pourquoi ces mots sonnaient ils aussi durs, amers ? Ce n'était pas son amie, et puis il ne lui disait pas adieu. Alors qu'est ce qui l'empêchait de conclure cette conversation ?